LES VALEURS DU ROYAUME DANS LA CONSTRUCTION EUROPEENNE

Introduction

Quelle contribution chrétienne dans la construction européenne ? Comment nous situer ? Peut-on envisager une approche spécifiquement chrétienne qui motiverait notre engagement, nous servirait de repères pour l’évolution de l’Europe ?

Nous avons choisi d’aborder ces questions sous l’angle des valeurs. Avant toute action, toute vision, tout programme politique, il faut poser un fondement comme le sage qui bâtit sa maison sur le roc. Si nous voulons être efficace, stratégique, nous ne pouvons pas considérer la dimension européenne comme allant de soi pour les uns, ou comme un mal nécessaire pour d’autres.

Nous ne voulons pas d’un engagement par défaut. Pour que notre démarche soit une démarche positive, nous devons discerner les valeurs qui nous portent et qui peuvent donner à notre action une cohérence et un sens profond. Ces valeurs constituent une grille d’analyse qui permet d’approfondir notre réflexion et d’offrir une perspective d’espérance.

Quelle perspective pour les nations ?

L’union Européenne est une communauté de nations. S’interroger sur notre engagement au sein de cette communauté, c’est d’abord poser la question de notre vision pour toute nation. L’engagement à l’échelle européenne est nécessairement de la même nature qu’à l’échelle nationale. Il en est le prolongement, et dans ce sens, il nous renvoie à notre compréhension de la perspective biblique des nations.

Brièvement, il faut rappeler que :

– Les nations sont une réalité créée par Dieu : le commandement donné à l’homme et à la femme de remplir la terre incluait le développement de l’humanité. L’irruption du mal et du péché n’a pas anéanti cette responsabilité. Les nations ne sont pas une réalité qui aurait surgi indépendamment du projet initial de Dieu, elles en sont le fruit. La différence entre le projet de Dieu et la réalité historique après la chute, c’est que l’humanité va se développer sans Dieu, contre Dieu, témoin ce qui se passe à Babel.

– Mais le projet de Dieu subsiste, puisque la rédemption accomplie par le Christ s’étend de l’individu à toute la création, y compris aux nations. (Col 1/.. Psaume 2). Les nations sont la sphère dans laquelle l’Eglise doit accomplir l’ordre de mission donné par Jésus, faire des disciples. Atteindre tout homme et donc toutes les nations, les ethnies, restera le mot d’ordre des apôtres et de l’Eglise.

– Les nations subsistent après l’établissement du Royaume éternel. On les retrouve dans l’Apocalypse, elles ont donc une dimension éternelle.

L’espérance du Royaume de Dieu, telle que nous l’avons formulée dans le paragraphe 7 du credo d’ID2R (LIEN) mentionne la création renouvelée sera le nouvel habitat de la nouvelle humanité. Cette espérance inclut la rédemption des nations : dans la perspective du renouvellement de toutes choses, les nations sont promises à un processus de guérison, magnifiquement imagé en Apocalypse 22/1 et 22/22.

Il nous est certes difficile d’imaginer les modalités concrètes de la vie des nations dans l’éternité, comme il nous est difficile de cerner la vie individuelle après la résurrection. Toutefois, les textes bibliques nous en disent suffisamment pour donner un sens à notre engagement présent, fournir un cadre de réflexion, et enfin stimuler notre espérance. Notre travail n’est pas vain dans le Seigneur !

Alors, Quelles valeurs ?

Toutle monde, croyants et incroyants, s’accorde pour dire que le rôle de l’Europe est de rechercher et de travailler à la paix, la justice et la réconciliation. Ces notions fondamentales font bien sûr l’unanimité. Il faut tout de même rappeler leur enracinement biblique, preuvesilen est deplus de l’imprégnation de notre culture par le message évangélique. Ellesappartiennentàla cultureuniverselle,personne ne songerait à les remettre en question. Nous n’avons donc pas à les défendre.

Parcontre, nous devons en retrouver le sel… Est-ce que leur vulgarisation au sens positif du terme n’a pas pour effet de les affadir ? Nous sommes responsables de leur donner un contenu concret et pertinent. Comment donner du sens à nos valeurs, en gardant notre cadre de référence ? C’est tout l’enjeu de notre démarche. Il en va des valeurs de paix, de justice comme de la devise de la France, Liberté, Egalité, Fraternité. Employant les mêmes mots, nous ne parlons pas toujours des mêmes choses. Redonner du sens, du contenu, de la densité à ces valeurs doit rester notre objectif premier. A moins de cela, nous n’avons plus de message, nous nous fondons dans l’anesthésie d’un discours consensuel. Pire, nous contribuons à élever ces valeurs au rang d’absolu. Or, sans référence à la transcendance, mêmes les valeurs les plus nobles deviennent des absolus, et letotalitarisme n’est pas loin. Témoin lerisque de ladictaturede la tolérance qui interdit tout débat, touteconfrontation d’idées, même pacifique.

Je voudrais insister sur à la fois la limite et la beauté de notre démarche : nous devons laïciser notre discours par souci de communication, afin d’être entendu, sans pour autant perdre les fondamentaux de notre référence à Dieu.

C’est pourquoi je vous propose de réfléchir sur ce que nous considérons comme l’essentiel de notre foi et de notre piété, tel que Jésus lui-même l’a défini. Alors que des spécialistes religieux lui demandaient quel était le plus grand commandement, Il répondra de manière magistrale en résumant toute la loi de l’Ancien Testament en deux paroles : « Tu aimeras ton Dieu de tout ton cœur… et tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Marc 12/29.

Il reprend en fait deux paroles de Dieu, celle de Deutéronome 6/4 pour le premier commandement, et Lévitique 19/18 pour le second.

Rappelons que ces commandements ne sont pas destinés à régir la relation entre Dieu et l’individu seulement. Il s’agit plutôt d’une alliance entre Dieu et le peuple qu’il a délivré de l’esclavage de l’Egypte. Après cet acte de salut par lequel il manifeste son amour pour le peuple d’Israël, ainsi que son opposition à toute forme de totalitarisme tel qu’il était pratiqué par le Pharaon. Dieu donne une réelle constitution au peuple d’Israël, il l’établit en tant que nation et lui donne les principes qui doivent régir sa vie sur tous les plans.

C’est pourquoi ces commandements, avec le résumé magistral qu’en fait le Christ, ont pour nous une grande importance. Ils ne peuvent en aucun cas être relégués à la sphère privée, ils ont une portée politique et sociale. Ils montrent le chemin pour garder et grandir dans la liberté reçue.

Bien sûr, nous sommes en présence d’un peuple en Alliance avec Dieu, soumis à un régime est théocratique. Il est inutile de préciser que l’engagement politique chrétien ne peut en aucun cas viser la restauration de ce type de régime, ni de manière explicite, ni de manière implicite. Il faut à ce propos éradiquer tout rêve enfoui, toute racine de motivation qui nourrirait une telle vision. Le rôle de témoin, en tant qu’Eglise et en tant qu’individu se vit dans un régime démocratique et républicain, dans une laïcité choisie. Ceci reste au centre du positionnement biblique.

Une fois rappelées ces réserves dues aux différences entre la position de l’ancien Israël et celle de nos nations européennes, le décalogue et les valeurs qui en découlent gardent tout leur sens en tant que grille d’analyse et de réflexion pour évaluer la politique d’une nation ou d’une communauté de nations.

Trois repères nous sont donnés : – la relation envers Dieu, – la relation envers soi-même et – la relation envers les autres.

Il n’est pas inutile de dire que dans son résumé des commandements de Dieu, le Christ a choisi d’insister sur l’amour. Etonnamment, ce terme a été employé à plusieurs reprises dans les discours politiques récents, au cours la campagne présidentielle en particulier. Ceci nous offre un terrain favorable pour rappeler l’essentiel !

L’attitude envers Dieu, ou « tu aimeras ton Dieu »

Sur un plan politique et pour des raisons évidentes, il ne s’agit pas de demander aux pays de l’Union Européenne d’aimer Dieu….

Par contre, il nous appartient de définir ce que nous attendons des nations en matière d’attitude envers la foi et envers les croyants, sachant que cela n’est pas sans lien avec l’attitude envers Dieu. Certes, le rôle de la politique n’est pas de régir la relation individuelle avec Dieu, mais de créer le cadre favorable à ce que chacun puisse jouir d’une réelle liberté de culte.

C’est une façon d’aimer Dieu pour l’Europe, mais aussi pour toute nation.

C’est la question de la liberté religieuse.

On aurait aimé, si le projet de traité constitutionnel avait vu le jour, que les racines chrétiennes de l’Europe soient mentionnées. Sans revenir sur ce débat, peut-être plus complexe qu’il n’y paraît, et sans stigmatiser ceux qui se sont opposés à cette mention, on peut dire qu’il révèle une certaine attitude envers Dieu. Aujourd’hui, comme le rappelle Michel Camdessus dans son allocution au Petit Déjeuner de prière à la commission Européenne en décembre 07 (LIEN), il est encore plus important que l’Europe incarne de manière réelle la foi chrétienne dans son engagement auprès des pays pauvres.

Le Conseil d’Eglises Chrétiennes en France, à travers ses co-présidents, écrivaient, à l’occasion du projet de traité :

Nous nous félicitons de la reconnaissance par le Traité de l’identité particulière des Eglises et de leur contribution spécifique au débat public. L’Union s’engage à maintenir avec elles, ainsi qu’avec les organisations non confessionnelles, un dialogue ouvert, transparent et régulier. A défaut d’honorer le passé par une référence explicite à l’héritage chrétien, le Traité prend soin du présent et de l’avenir.

Toutefois, les chrétiens ne peuvent pas demander aux nations ce qu’ils ne feraient pas eux-mêmes. Ainsi aimer Dieu, c’est avant tout la responsabilité des chrétiens européens. Or l’amour de Dieu, c’est aussi l’amour des frères…

Travailler à tout ce qui rassemble, fortifie l’unité à l’échelle européenne relève de l’engagement des chrétiens.

Le rassemblement œcuménique européen de Sibiu en septembre 07 a permis de mesurer le chemin à parcourir vers la réconciliation et l’unité. Il s’agit d’un long processus, et au-delà des obstacles et des défis, nous ne devons pas perdre de vue que l’unité de l’Eglise en Europe est essentielle à la construction de l’Europe.

Les petits déjeuners de prière, tant dans les différents parlements des pays membres qu’à la Commission Européenne ou au Parlement Européen sont des lieux où l’on met en œuvre ce commandement d’aimer Dieu. Quelles promesses dans ces rencontres personnelles autour du Christ, au-delà des différences de convictions et d’engagements politiques !

– L’attitude envers soi-même ou « tu aimeras ton prochain comme toi-même

Cette parole nous rappelle que l’amour du prochain semble découler de l’amour de soi. Comme s’il était impossible d’établir une relation harmonieuse et constructive avec autrui avant d’être en bons termes avec soi ! Cela semble une évidence, mais quel concentré de psychologie en une seule phrase. On n’a pas fait mieux depuis cette parole du Christ.

L’Europe devrait s’aimer elle-même ! Quelle traduction politique et sociale pour une telle valeur ?

Sans encourager aucune forme de xénophobie, d’ostracisme ou une recherche de l’intérêt des pays membres qui serait à sens unique, cette dimension de l’amour de soi mérite qu’on en définisse les contours.

Elle touche la notion d’identité et de capacité à vivre en communauté.

Christine Boutin écrivait dans la Croix du 26 octobre 04, titre Pour une Europe forte de sa propre identité : « La toute récente Europe des 25 doit d’abord se constituer un socle de valeurs communes, avant de l’élargir à d’autres pays, de culture et de religion historiquement différentes. »

Elle rappelait que « c’est en étant forte de sa propre identité et de sa propre Histoire que l’Europe sera en mesure de découvrir et d’établir des relations avec d’autres pays de culture et de religion différentes. La peur de l’autre provient souvent d’un manque d’assurance quant à sa propre identité. Quand on ne sait plus qui l’on est et d’où l’on vient, la rencontre avec l’autre génère l’inquiétude et l’incompréhension. »

On parle beaucoup d’identité européenne, c’est une expression de cet amour de soi : se connaître, être en paix avec notre histoire commune, être au clair sur le vivre ensemble, c’est une façon de s’aimer.

Travailler à l’identité européenne, dans le respect de l’identité de chaque nation, exige un travail de fond qui est loin d’être accompli. La gestion de la communauté européenne, avec ses urgences de tous ordres, ne permet pas toujours d’approfondir ces questions. Les générations passent, et le travail de rapprochement peut prendre du retard. Quel regard portons-nous sur les différents pays membres, en allant des proches voisins jusqu’aux plus lointains ? Cette connaissance mutuelle devrait être une des priorités, afin que le faire ne continue pas de prévaloir sur l’être. En tous cas pour leschrétiens. La dimension relationnelle est fondamentale dans le Royaume de Dieu. Si l’Europe n’intensifie pas tout ce qui permet un rapprochement des peuples et des cultures qui la composent, la réalité économique et demain politique repose sur un fondement fragile. La contribution chrétienne, c’est rappeler l’ordre des priorités, de chercher à les mettre en oeuvre.

« S’aimer soi-même » en tant qu’Union Européenne, c’est accepter de placer l’intérêt général au-dessus de l’intérêt personnel/national. Tout intérêt national comme une fin en soi, ne peut que polluer le processus de construction et finalement le compromettre. L’Union Européenne nous offre un lieu favorable au dépassement des intérêts nationaux pour aller vers une recherche de l’intérêt général. Tout ce qui favorise la reconnaissance et l’appréciation mutuelles de la diversité européenne va dans ce sens.

L’occasion nous est donnée de travailler tout ce qui est de l’ordre de la peur de l’autre, du racisme, ou toute forme de nationalisme. Il y a une grande différence entre l’amour pour sa nation, et la supériorité et le mépris des autres. Je peux être fier de ma famille biologique, mais sans que cela n’entraîne un jugement de valeur, ni supériorité par rapport aux autres.

C’est pourquoi il est juste de rappeler en permanence que la motivation des pères fondateurs de l’Europe était l’établissement et le maintien de la paix entre des nations qui s’étaient fait la guerre pendant plusieurs générations.

L’appartenance à cette communauté de nations est une chance pour l’ouverture. C’est un lieu d’apprentissage de la diversité, de la valorisation des différences perçues comme des expressions de la Gloire de Dieu et non comme des menaces. Afin de dépasser les antagonismes culturels, historiques, économiques, sportifs, etc.

Les questions d’environnement entrent dans cette valeur : s’aimer, c’est aussi prendre soin des générations futures, c’est veiller à la transmission. Nous pouvons le faire en travaillant sur la préservation de l’environnement, comme une responsabilité pour nous-mêmes et pour les prochaines générations.

– L’attitude envers les autres ou « tu aimeras ton prochain »

Continent privilégié sur bien des plans, l’Europe ne peut esquiver sa mission au service des autres pays. A ce propos, je ne mentionnerai que la responsabilité de l’Union Européenne envers les pays émergents. Nous avons un devoir de solidarité.

C’est là qu’on retrouve l’appel de Michel Camdessus à être de plus en plus l’incarnation de l’amour de Dieu pour les pays pauvres.

Toujours à l’occasion du débat sur le projet de Traité Constitutionnel, les co-présidents du CECEF (Conseil des Eglises Chrétiennes en France) écrivaient :

Une communauté de valeurs au service de l’homme

Le Traité énumère les valeurs qui fondent l’Union, à commencer par le respect de la dignité humaine. Il rappelle que l’Europe entend promouvoir la paix, la justice et le bien-être de tous. Il réaffirme la responsabilité et la solidarité de l’Union à l’égard du monde, renouant ainsi avec les intuitions premières de ses fondateurs1. Enfin, le Traité intègre la Charte des droits fondamentaux, rendue juridiquement contraignante, et témoigne ainsi de la volonté de mettre l’homme au cœur de la construction européenne.

Si le projet a échoué, l’esprit de cette remarque demeure à toujours. Mettre l’homme au centre c’est être fidèle à l’amour du prochain.

Le Défi Michée, dont la vocation est de rappeler aux gouvernants les engagements du millénaire en vue de lutter contre la pauvreté dans le monde, incarne ce commandement à l’échelle planétaire. (www.defimichee.org) LIEN. Le Défi Michée offre aux chrétiens l’occasion de jouer un rôle prophétique, tant auprès des gouvernants qu’auprès des populations.

Ces trois valeurs sont à décliner dans chaque dossier, liberté religieuse, environnement, famille, politique sociale, accueil de l’étranger, etc. Elles sont destinées à servir de socle à tout projet, programme qui se veut nourri des valeurs du Royaume de Dieu.

Jean-Marc POTENTI.

Transforum ID2R.

Valence, Octobre 07.

1Cf.DéclarationSchumandu9mai1950

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