LA REFORME et l’EDUCATION

Le contexte

Pour bien comprendre l’apport de la Réforme à l’éducation chrétienne, il est nécessaire de s’arrêter sur l’époque de la Renaissance.

Les historiens hésitent toujours à fixer les mouvements de pensée, les processus d’évolution par des dates précises ; tenant compte de ce cela, nous situerons la Renaisssance entre le XIVe et le XVIe siècle, avec toutes les réserves d’usage. Il faut mentionner par exemple l’influence d’auteurs qui précèdent cette période, comme Thomas d’Aquin, Roger Bacon…

On peut définir schématiquement l’évolution de philosophique et religieuse de cette époque comme le passage d’une société chrétienne (au sens de chrétienté médiévale) à une société qui prône l’autonomie de l’homme par rapport à la tutelle de la religion. Ou encore le passage d’une société entièrement dépendante, dominée par l’église à une société tournée essentiellement vers l’homme.

C’est l’amorce du passage à une société laïque, dans laquelle l’église continue de dominer, et l’athéisme n’a pas encore sa place.

Rappelons qu’il s’agit d’un processus, d’une évolution progressive des mentalités. Pendant cette période, on assiste à un développement artistique, culturel et économique (dans lequel on peut discerner les signes précurseurs du capitalisme); La philosophie humaniste se répand.

Le but de l’homme n’est plus tant de glorifier Dieu que de jouir librement et pleinement de la vie. Ainsi apparaissent de nouvelles attitudes telles que la confiance absolue dans la capacité de l’homme.

Il faut mentionner le plus célèbre des humanistes de cette époque : Erasme de Rotterdam (1466 ?-1536).

Alors que la Renaissance se concentre sur l’autonomie de l’homme, la Réforme met l’accent sur le Dieu infini et personnel qui se révèle dans l’Ecriture.

 

La société dans laquelle va évoluer la Réforme n’est donc plus tout à fait celle du Moyen-Age, mais elle n’est pas encore celle que nous connaissons aujourd’hui. Le processus de sécularisation n’a pas encore atteint le degré de développement que nous lui connaissons à l’heure actuelle, mais il est déjà engagé (Gangel, p138). Dans ce contexte, les princes du XVIe siècle sont toujours considérés comme les représentants de Dieu, et l’éducation reste sous le contrôle de l’état. Dans ce sens, on pourrait avoir les mêmes réserves pour cette époque que celles que nous avons émises pour le Moyen-Age. Cependant, si le contexte social est bien différent de celui d’aujourd’hui, l’exercice du ministère catéchétique de l’église de la Réforme offre un exemple d’une qualité indéniable.

 

Il ne s’agit pas de retracer l’histoire de la Réforme protestante, ni d’en exposer le contenu théologique. Nous nous contenterons d’analyser l’attitude des Réformateurs face au ministère catéchétique de l’église et de voir la relation entre réveil religieux et enseignement biblique.

 

Le rayonnement intellectuel des Réformateurs était tel que leur action dans le domaine de l’éducation va dépasser le cadre de l’église et du catéchisme. Ils vont promouvoir une éducation générale de haut niveau alliée à un enseignement biblique profond.

A l’autorité de l’église et du pape, la Réforme allait substituer l’autorité de l’Ecriture et la responsabilité individuelle face au salut. Ces nouvelles théories contenaient en elles-mêmes la nécessité pour chacun de lire la Bible, d’être instruit au cours des services religieux et de conformer sa vie à ce que Dieu exigeait de lui.

L’accent sur la liberté de jugement et la responsabilité personnelle en matière de foi avait pour conséquence naturelle le développement du concept de participation et de responsabilité dans tous les domaines.

La naissance de la démocratie et l’éducation universelle sont des fruits logiques des conceptions protestantes concernant l’interprétation et l’autorité de la Bible.

 

Nous considèrerons l’oeuvre de Luther, Mélanchton et Calvin en ce domaine.

 

Les précurseurs

 

La Réforme n’est pas née dans un vide spirituel. Depuis plusieurs siècles, des groupes de croyants réagissaient contre le dogme catholique romain et souhaitaient un retour aux enseignements du Christ.

De ce nombre sont les Vaudois (XIIs), les Lollards (XIVe s), ces prédicateurs laïcs formés par John Wycliff, les Hussites, les partisans de Jean Huss.

 

Chacun de ces pré-réformateurs a encouragé l’enseignement et l’étude personnelle de la Bible.

 

Martin Luther (1483-1556)

 

Luther va régir violemment contre la scholastique médiévale qu’il juge dangereuse pour le développement moral des enfants. Il veut privilégier l’étude de la Bible par rapport à l’étude des classiques, à l’honneur chez les humanistes. Ne trouvant pas d’écho à ses positions dans l’église, Luther va se tourner vers les princes réformés, qui, selon le Réformateur allemand, reçoivent cette responsabilité de la part de Dieu. Pour lui, les pasteurs et les princes doivent collaborer dans la tâche d’éducation.

 

Luther a une conscience très aiguë du rôle des dirigeants politiques qui dans l’exercice du pouvoir doivent constamment rechercher la « prospérité et l’amélioration de la cité ». (Luther aux maires et conseillers municipaux de toutes les villes d’Allemagne en faveur des écoles chrétiennes).

 

Dans la philosophie de l’éducation de Luther, la famille détient un rôle fondamental : « il n’y a pas d’autre offense qui, du point de vue de Dieu afflige aussi lourdement l’humanité et mérite un châtiment aussi grand que la négligence dans l’éducation des enfants. »

 

Si l’état est responsable de l’éducation des enfants, souvent à cause de l’incapacité des famille, les parents doivent superviser et permettre l’éducation des enfants en créant une atmosphère favorable à l’étude.

 

Dans son souci majeur de permettre à chaque citoyen de lire la Bible, Luther a mis l’accent sur la nécessité d’une éducation obligatoire et accessible à tous. Il va aussi s’attaquer à la réforme des programmes d’enseignement des écoles monastiques et des universités.

 

Dans le domaine de l’enseignement dans l’église, les catéchismes occupent une grande place à côté de l’Ecriture dont ils expliquent les concepts théologiques de base (les 10 commandements, le Notre Père, le crédo des apôtres…)

 

A cette époque, l’église dispose en effet d’un outil remarquable et tout à fait moderne, celui de l’imprimerie. Le catéchisme sera donc diffusé en livre imprimé pour la première fois dans l’histoire de l’église.

 

 

 

Les catéchismes de Luther :

​-en avril 1529, Luther publie le Grand Catéchisme, un exposé doctrinal en cinq parties,

​-en mai 1529, il publie le Petit Catéchisme, au contenu semblable au précédent, mais sous la forme de questions-réponses. Dans sa préface, Luther explique lui-même la raison de cet ouvrage : « une tournée récente que j’ai faite pour inspecter les églises m’a révélé un état religieux pitoyable. Aussi, je me suis senti pressé, en présence d’une si grande misère spirituelle, de rédiger ce catéchisme qui présente la doctrine chrétienne sous une forme simple et précise. »

 

Les méthodes qu’il préconise

​-une discipline ferme mais motivée par l’amour;

​-les aides visuelles,

​-les illustrations,

​-la répétition,

​-la compréhension est considérée comme prioritaire sur la mémorisation.

 

Il sera le seul éducateur de son époque à donner une large place à la musique dans sa conception des programmes d’éducation.

Toute l’activité de Luther peut être considérée comme une activité éducative au sens large.

Il reconnaît à la fonction d’enseignant l’appel le plus important avec celui de pasteur.

 

Philippe Mélanchton (1497-1560)

 

Nous citons ici Mélanchton, non pour des raisons théologiques ou d’importance, mais géographiques. En effet, nous restons en Allemagne.

 

La position de Mélanchton parmi les Réformateurs est particulière : au moment où Luther va rompre avec Erasme, lui va poursuivre ses relations avec l’humaniste et demeurer en même temps un proche collaborateur de Luther.

Erasme adopta une attitude moins radicale que Luther, pensant pouvoir réformer l’église de l’intérieur. Le désaccord entre les deux hommes portait entre autres sur la place prépondérante que le réformateur voulait donner à l’étude de l’écriture par rapport à l’étude des classiques.

 

Mélanchton, brillant érudit, va continuer de plaider en faveur de l’étude des classiques, tout en donnant la première place à l’écriture et à la théologie. C’est la raison de son excellente collaboration avec Luther.

 

Mélanchton est considéré comme le « père de l’humanisme chrétien » de par l’étendue de son érudition. Il va s’attaquer à la réorganisation du système scolaire saxon en 1527. Cette école sera la première école d’état, municipale de l’histoire.

 

Ulrich Zwingli (1484-1531)

 

Ce prêtre de Zurich sera parmi les réformateurs le plus proche d’Erasme et le plus complet.

Malgré la brièveté de son ministère (18 ans), son impact fut considérable. A son actif, il faut compter :

​-la création d’un institut théologique,

​-la formation de pasteurs.

Le style de l’institut théologique est à noter : il s’agissait d’une communauté de savants dans laquelle conférenciers et étudiants collaboraient ensemble.

 

 

 

 

Jean Calvin (1509-1564)

 

Parmi les Réformateurs, il est le seul à avoir laissé un système théologique. Mélanchton l’appelait « le théologien ».

Trois ans après le début de son ministère qui date de 1533, il écrit l' »Institution de la religion chrétienne », un exposé didactique des fondements de la doctrine chrétienne.

 

C’est à Genève qu’il va exercer la majeure partie de son ministère, de 1536 à 1564(à part une interruption de trois ans de 1538 à 1541 à Strasbourg).

 

La théologie calviniste est caractérisée par une profonde conscience de la souveraineté de Dieu, de la dépravation totale de l’homme et par la doctrine de la prédestination.

(Différence avec St-Thomas, pour qui le péché atteint la volonté de l’homme, mais non sa raison ; il y a donc une possibilité de connaître Dieu pour la raison humaine, d’où les preuves de l’existence de Dieu).

 

En 1557, Calvin fonde la célèbre Académie de Genève, dirigée par des savants reconnus, comme Théodore de Bèze.

Elle est divisée en deux parties :​la schola privata, jusqu’à 16 ans;

​la schola publica, qui est l’université (elle deviendra l’actuelle université de Genève).

 

Quelques catéchismes célèbres.

 

​-1563 : le catéchisme de Heildeberg.

​-1643-48 : le catéchisme de Westminster.

Il ne faut pas oublier le nombre impressionnant de manuels créés et utilisés localement et qui manifestent la vitalité de l’activité pédagogique des églises de l’époque. Le but de tous ces catéchismes était de « rendre le contenu de la Bible assimilable à tous les croyants », enfants, jeunes gens, et adultes. (Pierre Lestringant, p51).

 

« Le catéchisme n’est qu’un moyen mis à la disposition des églises, dans un temps d’extrême indigence, et pour l’enseignement des fidèles. Mais l’enseignement en vue duquel il est préparé revêt lui-même un caractère particulier. Il ne vise pas une simple acquisition de connaissances, il se propose de susciter la foi, de lui faire porter son fruit en chacun, et de rendre le croyant capable de la confesser. Il est l’instrument d’un ministère de l’église qui se distingue de la prédication, en ceci qu’il se propose moins l’entretien de la foi que son éclosion. Il est façonné pour un enseignement élémentaire qui doit être plus instructif encore que ne l’est la prédication, mais, qui, visant directement un résultat pratique chez l’enfant, s’insère dans le cadre plus personnel d’une pédagogie. » (Lestringant, p56).

 

Lestringant relève trois formes de ce ministère, d’après la « Discipline des Eglises Réformées de France de 1559 (p58-59) :

​-le catéchuménat dans sa forme habituelle, c’est-à-dire pour les enfants baptisé avant leur admission à la Cène,

​-la catéchisation des fidèles au cours de réunions distinctes des assemblées dominicales et qui s’adresse aux adultes,

​-la catéchisation à domicile, grâce à des visites périodiques, destinées soit à la famille entière, soit à un des membres en particulier.

 

La restauration de ce ministère « n’est pas le fruit d’un long cheminement, mais, au contraire, se situe sur l’acte de naissance même du protestantisme. » (Lestringant, p52).

 

Cette époque, pendant laquelle l’église a connu une « activité enseignante sans précédent » (Wack, p37), offre aussi une grande richesse de structures ecclésiales d’éducation. L’établissement des structures d’éducation précède leur formulation théorique. On peut parler d’explosion du ministère d’éducation chrétienne, suscitée par la prédication de la Parole de Dieu, fruit d’innombrables initiatives locales, ce qui prouve que ce ministère s’impose aux églises de la Réforme comme une nécessité vitale.

 

Pierre Lestringant parle de « résurrection » du ministère catéchétique, qu’il considère comme étant une conséquence immédiate et naturelle du retour à la Bible. Le ministère de la prédication et le ministère catéchétique sont exercée avec le même empressement.

​ »Les deux ne visaient qu’un seul but : l’appropriation des vérités de l’Ecriture, mais se limitant à un choix, le ministère catéchétique s’appliquait à les ordonner avec soin en vue de l’éducation chrétienne des fidèles. » (Lestringant, p51).

 

La contre-Réforme

 

Du côté de l’église romaine, on note la convocation en 1545 par Paul III du Concile de Trente, en vue de réformer l’église.

Le nom à retenir : Ignace de Loyola, fondateur de la Compagnie de Jésus, dont l’un des ministères principaux est la création d’écoles.

 

Conclusion

 

Ainsi, les effets du réveil théologique et spirituel de la Réforme se sont fait sentir dans le domaine de l’éducation, par le développement de la scolarisation des enfants. Si la vocation première des écoles était l’instruction religieuse des enfants, elles assuraient en même temps l’éducation générale, par un phénomène « d’osmose entre catéchèse et école » (Wackenheim, p45).

 

La doctrine protestante portait en elle-même la nécessité d’une éducation chrétienne. Signalons les cinq contributions majeures de la Réforme dans ce domaine (selon Eavey) :

​-la traduction de la Bible dans le langage du peuple et sa large diffusion,

​-un réveil de la prédication biblique et doctrinale,

​-la place de l’enseignement dans les familles par l’utilisation des catéchismes pour les enfants,

​-la création d’écoles pour enfants,

​-la conception d’une éducation qui réunit le domaine religieux et le domaine classique (les humanistes).

 

Remarque : il n’y a pas de mention de la nécessité de repenser les matières philosophiques d’un point de vue chrétien ; soit il faut étudier les classiques, soit les rejeter. Il faudra attendre le XIXe siècle avec Kuyper pour penser en termes de philosophie chrétienne. Abraham Kuyper (18371920) a ététhéologien, homme politique, homme d’État et journaliste néerlandais.

 

Jean-Marc Potenti.

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